La contrefaçon est un fléau international qui prend la forme d’un marché illégal gigantesque qui n’a cessé de croître sous l’impulsion notamment du e-commerce et de la crise sanitaire liée à la Covid 19. La contrefaçon tous secteurs confondus coûte 8 milliards d’euros par an, auxquels s’ajoute le manque à gagner fiscal et social avec une perte pour les secteurs touchés comprise entre 7,5 milliards et 8 milliards d’euros par an[1].
En effet, les délinquants exploitent la pandémie de la Covid 19 qui frappe de nombreux pays pour écouler des gels contrefaits, des masques et autres produits soi-disant miracles pour traiter ce nouveau virus. Les produits pharmaceutiques de contrefaçon peuvent constituer une menace directe pour la santé et la vie. Leur entrée dans l’Union européenne, souvent au moyen de petits colis et de ventes sur Internet, représente un défi pour les autorités répressives.
Le constat fait par les députés est édifiant. Les saisies réalisées par les douanes, en 2019, sont dénombrés à hauteur de 70 804 unités de médicaments contrefaits, 3,8 millions de produits pharmaceutiques à usage humain et vétérinaire, 118 kilos de produits classés psychotropes (Subutex, Valium…), 103 279 unités de produits dopants et 7,6 tonnes de matières premières pharmaceutiques en vrac
Le dernier rapport parlementaire d’évaluation de la lutte contre la contrefaçon[2] fait suite à la communication récente de la Cour des comptes[3] soulignant déjà l’ampleur de ce phénomène malheureusement sous-estimé en France et qui nécessite une information des consommateurs à tous les stades, y compris sur Internet et les réseaux sociaux[4] et notamment en matière de médicaments[5].
Les députés soulignent l’impact important du coronavirus, « formidable aubaine pour les contrefacteurs ». En plus des masques et gels hydroalcooliques, « la France a démantelé un trafic de faux tests sanguins au résultat instantané » vendus de l’Asie vers l’Europe.
Le rapport formule des propositions qui ne relèvent pas que du numérique, comme par exemple la mise en place d’une stratégie nationale et un plan d’action mis en œuvre par un délégué interministériel, ou l’incitation des maires à développer une collaboration entre polices municipale et nationale. Les rapporteurs préconisent également que l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) collecte l’ensemble des données utiles à la quantification de la contrefaçon et au recensement de l’action des administrations.
Les autres propositions concernent la dimension cyber de la contrefaçon.
Les préconisations relatives à la cyber contrefaçon
Les co-rapporteurs de la mission d’évaluation présentent dix-huit préconisations concrètes en mettant en évidence les risques de ce fléau qui sont sous-estimés et les mesures urgentes à prendre.
Améliorer les investigations numériques.
Le rapport souhaite améliorer les moyens d’investigation des douanes en les autorisant à pratiquer des coups d’achat pour les médicaments et les matières premières à usage pharmaceutique. Aux termes des articles 706-32 du Code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, le coup d’achat ne constitue une preuve déloyale, au titre d’une incitation à commettre une infraction, qu’en l’absence d’activité délictuelle préexistante[6]. Cette technique d’investigation fait déjà ses preuves dans le domaine du trafic de stupéfiants et du trafic d’armes. Un coup d’achat suppose que des enquêteurs, avec l’accord du magistrat du parquet, interviennent en tant que
« pseudo acheteur » de produits stupéfiants afin d’obtenir le constat d’infractions à la législation, ainsi que l’interpellation des personnes en charge de cette livraison.
Bloquer les sites litigieux.
Le rapport propose d’instituer une procédure administrative d’avertissement ou de blocage des sites internet proposant à la vente des produits contrefaisants, le système actuel étant complexe et sous- utilisé[7]. Des agents assermentés pour le droit des marques pourraient être autorisés à constater une infraction commise sur internet et à exiger, pour le compte du titulaire de droits, qu’il soit mis fin à l’exposition et à la vente de contrefaçons sur des plateformes commerciales ou des réseaux sociaux. Le renforcement du blocage des sites commercialisant des contrefaçons apparait essentiel avec l’introduction dans le code de la propriété intellectuelle d’une disposition permettant à l’autorité judiciaire de prononcer la suspension groupée de nombreux noms de domaine et de comptes de réseaux sociaux, et le regroupement des plaintes contre les sites les plus actifs
Améliorer le sort des cybervictimes.
En outre, une disposition spécifique pourrait préciser que le plaignant n’aura pas besoin de démontrer un lien ou une connexité entre les différents sites dont le blocage est demandé, considérant qu’ils sont liés de fait par l’atteinte commune qu’ils portent à la marque ; réduisant le formalisme de la preuve pour admettre les copies d’écran et attestations d’un agent assermenté en droit des marques ; autorisant l’injonction par le juge de retrait de contenus identiques ou équivalents à un contenu qui a déjà fait l’objet d’un constat d’illicéité ; prévoir une disposition précisant expressément qu’en cas d’impossibilité de connaître le responsable du site, l’injonction s’adresse au prestataire de service intermédiaire ; envisager les modalités d’un transfert de la propriété du nom de domaine suspendu au titulaire de droits afin d’en empêcher la reconstitution ; instituer une obligation d’avertissement du consommateur sur la page du site suspendu pour contrefaçon ou vente illégale mentionnant la condamnation intervenue. Enfin, il conviendrait d’évaluer les décisions rendues par les juridictions en matière de contrefaçon notamment au regard des dommages‑intérêts et aux condamnations aux dépens.
Instituer une amende civile pour le vendeur de contrefaçon en ligne. Les parlementaires proposent d’inscrire dans le code de la propriété intellectuelle une amende civile à l’encontre du vendeur de contrefaçon, proportionnée à la gravité de la faute commise, aux facultés contributives de l’auteur du délit et aux profits qu’il en aura retirés.
Faciliter la défense des droits de propriété intellectuelle des entreprises.
Créer un organisme sous la forme juridique d’un groupement d’intérêt public (GIP) ou d’une association pour conseiller et apporter une aide aux titulaires de droits, en particulier les PME. Autoriser à se pourvoir en justice une association existante ou à créer spécifiquement à cet effet, sur le modèle de l’association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA). Etudier l’extension de l’action de groupe au domaine de la contrefaçon.
Mieux lutter contre les ventes illicites de tabac.
Le rapport recommande d’appliquer l’article 29 de la loi n° 2018‑898 relative à la lutte contre la fraude, qui oblige les réseaux sociaux à énoncer que la vente de tabac est illégale et de sensibiliser les réseaux sociaux à leur obligation de retirer les annonces illégales sans intervention du titulaire de droits, de la même manière qu’ils coopèrent pour supprimer les contenus haineux.
Il est aussi nécessaire d’adapter l’organisation judiciaire aux mutations du commerce international en ligne en désignant une chambre juridictionnelle dans certains gros tribunaux de grande instance aux litiges relatifs au commerce en ligne ; permettre aux détenteurs de droits de déposer leurs requêtes en ligne ; limiter la rotation des magistrats dans les postes spécialisés dans la propriété intellectuelle et les litiges relatifs au commerce en ligne.
L’action d’Europol
Lors de la dernière conférence « In our site[8] », un bilan de la stratégie de lutte contre la contrefaçon a été fait. Il est relevé notamment que les procédures de désactivation de noms de domaine se sont industrialisées entre les titulaires de droit, les autorités publiques et l’industrie des noms de domaine.
Concrètement, les titulaires de droit transmettent aux autorités européennes qui se tournent ensuite vers l’industrie des noms de domaine localisée sur tout le territoire européen pour désactiver rapidement les sites contrefaisants. Ce système a des avantages certains quand les administrateurs des sites contrefaisants ne sont pas identifiables ou lorsqu’ils sont identifiés en dehors de l’UE comme en Chine, principal pourvoyeur de contrefaçons au monde.
Une démarche européenne
Le rapport préconise d’intégrer la contrefaçon dans la feuille de route politique de l’Union européenne, de prioriser la lutte contre la contrefaçon au sein des missions de l’Office européen de lutte anti‑fraude (OLAF) et d’Europol.
Il est prévu de reconnaître la responsabilité des plateformes de commerce électronique et des réseaux sociaux en cas de mise en vente de produits contrefaisants et leur imposer un devoir de vigilance, reposant notamment sur une obligation de retirer dans un délai maximal la marchandise du site après réception d’une notification motivée de la part d’un titulaire de droits ; une obligation de transparence sur les moyens mis en œuvre pour lutter contre la vente de contrefaçon ; une obligation de coopérer avec leurs autorités administratives pour les demandes d’information ; une obligation d’exiger l’identité des vendeurs professionnels ; une obligation de remboursement du client trompé sur la qualité de la marchandise ; une obligation d’information des consommateurs lorsqu’ils ont été exposés à des produits de contrefaçon.
Le rapport précité s’inscrit dans la démarche d’élaboration des nouveaux textes sur les plateformes[9] visant à renforcer leur responsabilité et obligations. La Commission européenne a publié, le 15 décembre 2020, les projets de règlements Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA), qui doivent permettre la mise en œuvre d’un nouveau cadre de régulation, pour mettre fin à l’irresponsabilité des géants du numérique. L’objectif est de parvenir à leur adoption début 2022[10]. Le DSA prévoit des obligations concernant les contenus notamment les contenus illégaux, définis par l’Union européenne comme comprenant le discours de haine, le harcèlement, la contrefaçon, l’utilisation de matériels protégés par le droit d’auteur, le contenu terroriste, discriminatoire, pédophile, ou encore le dévoilement d’images privées. À défaut d’une action rapide et efficace pour traiter leur suppression, les plateformes devront prouver leur méconnaissance des faits afin d’échapper à une amende.
La France vient de lancer fin février 2021[11] un plan de lutte contre la contrefaçon, qui passera par une coopération renforcée avec les plateformes de vente en ligne pour améliorer les relations avec les acteurs du e-commerce et identifier les trafics pour mieux les anéantir.