Depuis 2009, chaque deuxième mardi d’octobre, un événement à ambition internationale initié au Royaume-uni, le « jour Ada Lovelace », rend hommage à Augusta Ada King, Comtesse de Lovelace. Mathématicienne britannique née en 1815 et décédée moins de trente sept ans plus tard, Ada Lovelace est considérée comme une pionnière de l’informatique pour ses travaux sur le prototype de calculateur numérique conçu par Charles Babbage, et de surcroît inspiratrice de l’intelligence artificielle pour son extraordinaire intuition des capacités et des applications futures des descendants de la Pascaline associée au métier Jacquard.
L’objectif de cette célébration est une mise en valeur des femmes travaillant dans les « sciences, technologies, ingénierie et mathématiques ».
Cette année, La Poste fait écho à cette célébration, en sortant, pour le « jour Ada Lovelace », un timbre à son effigie, qui évoque les « boucles conditionnelles » censées être réalisées par le prototype de Babbage dans les « sous-programmes » écrits par Ada pour le calcul des « nombres de Bernoulli ».
Cette initiative s’inscrit également dans la semaine de la science
Manifestation nationale créée en 1991 et organisée cette année du 7 au 17 octobre 2022 en métropole par le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, ayant pour but de promouvoir la science auprès du grand public. Cet événement, comme le mois européen de la cybersécurité organisé en octobre depuis 2012, s’est installé progressivement dans la vie de nos concitoyens, mais certainement encore trop discrètement.
Car il est indispensable pour la compétitivité et l’indépendance de notre pays, de susciter les vocations scientifiques chez les filles et les garçons ; le rappel de la vie et des inventions des ingénieurs qui nous ont précédé est un bon moyen de stimuler l’engouement pour les sciences, dans tous les domaines.
Cet engouement n’est pas nouveau
Il y a exactement 350 ans Molière créait Les Femmes savantes, comédie qui mettait en lumière l’intérêt de ses contemporaines (et contemporains) pour les mathématiques, la grammaire, la philosophie et la poésie notamment. Cette comédie évoquait déjà la recherche d’émancipation de certaines femmes par une instruction de haut niveau, en soulignant les déboires conjugaux et financiers auxquels un zèle excessif, mué parfois en pédanterie, pouvaient les mener.
Sans s’étonner alors qu’une femme, née presque 200 ans après Molière, se soit passionnée pour un prototype de machine capable de calculs complexes tels celui des nombres de Bernoulli (1700-1782) que l’on enseigne de nos jours en université, on peut toutefois être admiratifs de ses compétences scientifiques, sachant qu’en France, l’accès à l’enseignement supérieur était interdit aux femmes avant le Second Empire.
« La machine analytique n’a nullement la prétention de créer quelque chose par elle-même. Elle peut exécuter tout ce que nous saurons lui ordonner d’exécuter. Elle peut suivre une analyse ; mais elle n’a pas la faculté d’imaginer des relations analytiques ou des vérités. Son rôle est de nous aider à effectuer ce que nous savons déjà dominer. »
Ada Lovelace mit plusieurs mois à documenter le fonctionnement de cette machine analytique ; sa « note G » est considérée comme le premier programme informatique au monde.
Passionnée et déterminée, elle sacrifia sa fortune et sa santé pour tenter d’achever le calculateur numérique de Babbage qui ne trouvait alors pas de financement.
« La machine analytique tissera des motifs algébriques comme les métiers de Jacquard tissent des fleurs et des feuilles. »
Associant à ses recherches techniques une vision poétique de l’évolution des calculateurs et de leurs applications, Ada Lovelace, fille du poète Lord Byron, est certainement un modèle d’ingéniosité, d’imagination scientifique et poétique, de persévérance et d’abnégation.
“I never am really satisfied that I understand anything; because, understand it well as I may, my comprehension can only be an infinitesimal fraction of all I want to understand about the many connections and relations which occur to me, how the matter in question was first thought of or arrived at, etc., etc.”
C’est un bel hommage alors qui lui est rendu par le timbre poste français ; concept créé trois ans avant le décès d’Ada Lovelace, son usage est pourtant en train de disparaître par la concurrence de la messagerie électronique, une application des lointains descendants du calculateur de Babbage.
La poste a aussi célébré cette année au titre des personnalités scientifiques, un grand Homme injustement méconnu, qui participa activement à l’invention de la Poste pneumatique de Paris que de nombreux historiens considèrent, dans l’esprit et le principe, comme l’un des ancêtres de l’Internet.
Henri Rouart
Henri Rouart (1833-1912), fut non seulement un ingénieur polytechnicien des plus talentueux, mais également un entrepreneur et industriel apprécié, un maire dévoué à sa ville (La Queue-en-Brie, dans le Val-de-Marne), un pionnier de la photographie familier de Nadar, un collectionneur mécène des Impressionnistes, ami intime d’Edgar Degas et peintre impressionniste lui-même, amoureux de la nature surnommé « le peintre des arbres »… Patriote, par ses inventions il a rendu la France indépendante du Royaume-Uni pour le développement des usages des fluides. A l’origine de nombreuses inventions en collaboration avec d’autres ingénieurs de diverses écoles et domaines (tels Jean-Baptiste Mignon, Clément Ader et Gustave Eiffel), il était aussi capable de les industrialiser et d’en assurer l’exportation jusqu’en Russie ou aux Etats-Unis. Il finança un procès contre un ressortissant allemand ayant abusivement déposé un brevet sur un principe de moteur inventé par un ingénieur français désargenté, qui fut alors finalement rétabli dans ses droits.
Un véritable honnête homme comme on en rencontre peu, que Paul Valéry, ami des fils d’Henri Rouart, a ainsi dépeint dans Henri Rouart – Dans le sillage de Corot : « Ceux qui ont connu M. Henri Rouart – sa belle vie, ses nobles goûts, la largesse et la délicatesse de son accueil, sa maison, qui depuis le seuil jusqu’à la chambre la plus haute n’était que peintures exquises – ont connu ce que la seconde moitié du siècle dernier a pu produire en France de plus accompli, de plus solide, de plus raffiné, de plus respectable – une existence fortement construite et magnifiquement ornée.
J’admirais, je vénérais en M. Rouart la plénitude d’une carrière où presque toutes les vertus du caractère et de l’esprit se trouvaient composées. Ni l’ambition, ni l’envie, ni la soif de paraître ne l’ont tourmenté. Il n’aimait que les vraies valeurs, qu’il pouvait apprécier dans plus d’un domaine. »
L’histoire d’Henri Rouart et celle d’Ada Loverlace, témoignent de la nécessité de la collaboration scientifique à travers le monde et plus encore, à travers les siècles, ainsi que de l’intime relation entre les arts, les lettres et les sciences.
« Nam sine doctrina vita est quasi mortis imago. »
« Cela veut dire que Sans la science, la vie est presque une image de la mort. » (Molière, Le Bourgeois Gentilhomme, acte II sc.IV)
Il nous reste à réinventer un André Léveillé, un Jean Perrin ou un André Malraux, pour convaincre l’Etat de faire sauter les obstacles qui s’opposent à la diffusion de la connaissance.
Rares sont les inventions qui sont l’oeuvre d’une seule personne. L’innovation hérite du passé. C’est pourquoi il est nécessaire de l’enseigner, même dans des domaines d’apparence récents tels que l’informatique, la cybersécurité ou l’intelligence artificielle.
Rappelons-nous que le premier micro-ordinateur (le Micral) fut créé au sein d’un bureau d’études français (R2E) ; que les travaux de Louis Pouzin et de ses collaborateurs sur le réseau Cyclades furent précurseurs de l’Internet ; que la carte à puce est aussi une invention française, etc. La liste des apports des ingénieurs français au monde cyber actuel est trop longue pour être développée ici.
Rendons-leur hommage, car l’humilité est souvent leur grand « défaut »
Remercions les associations qui travaillent à entretenir le souvenir des ingénieurs remarquables disparus, telle l’ARCSI (Association des Réservistes du Chiffre et de la Sécurité de l’Information ) qui mettra en lumière à l’occasion de ses 14emes rencontres sur « L’épopée de la carte à puce et son avenir », l’ingénieur Michel UGON, disparu en fin d’année 2021 et dont le rôle fut déterminant dans le développement de la carte à puce.
Remercions enfin La Poste pour avoir honoré ces personnalités remarquables et enrichie ainsi l’encyclopédie vivante, accessible à tous, objet de la vie quotidienne, que constitue la collection des timbres postes français.
A retrouver pour les 14es rencontres de l’ARCSI
« L’épopée de la carte à puce et son avenir »
Jeudi 20 octobre 2022
de 8h30 à 19h
BNF – Avenue de Paris – Paris 13e
Références
Une Parole d’Expert de
Florence ESSELIN
Senior advisor
CYBERCERCLE
Parue le 14 octobre 2022