Le CyberCercle a organisé le 26 septembre 2018 son 81ème petit-déjeuner-débat mensuel, sous la présidence de Laure de LA RAUDIERE, députée d’Eure-et-Loir, Co-présidente du groupe d’études cybersécurité et souveraineté numérique de l’Assemblée nationale, avec Maître Christiane FERAL-SCHUHL, Présidente du Conseil National des Barreaux, et Myriam QUEMENER, Docteur en Droit, experte pour le Conseil de l’Europe en matière de cybercriminalité, avocat général près la Cour d’Appel de Paris, pour traiter du sujet :
« Le droit face à la disruption numérique »,
titre choisi par Myriam QUEMENER pour son dernier ouvrage paru aux éditions Lextenso.
La préface, de même que le sous-titre de l’ouvrage « Le droit face à la disruption numérique : Adaptation des droits classiques – Émergence de nouveaux droits » (Lextenso Editions), donnent à eux seuls le ton. Il s’agit véritablement d’une « rupture » juridique selon Myriam QUEMENER, auteur de nombreux ouvrages sur la cybercriminalité :
« Les conséquences de la digitalisation de la société sont aujourd’hui sans précédent sur les normes juridiques. En, effet, jusqu’à présent bien compartimentés par matière, la porosité des différents droits se fait jour. L’abolition des frontières du monde numérique a ainsi atteint de plein fouet l’univers juridique ».
C’est dans la lignée de cette analyse que s’inscrivent également Christiane FERAL-SCHUHL, auteur depuis 1999 de « Cyberdroit – le droit à l’épreuve de l’Internet » (éditions Dalloz) qui vient d’être à nouveau réédité, et Laure de LA RAUDIERE a travers son expérience de parlementaire experte des sujets du numérique.
Plusieurs points forts sont ainsi ressortis des débats, le principal étant que le sujet de la sécurité numérique en matière de droit est surtout aujourd’hui une question de formation et d’organisation :
♦ nécessité d’arrêter l’empilement des lois et des textes juridiques
♦ une bonne loi est celle qui dure au-delà de la technique ex : la Loi Godfrain de 1988
♦ besoin que le législateur appréhende mieux ce que sont le numérique et la sécurité numérique à travers les usages et la technique
♦ nécessité de former les magistrats au numérique et à la sécurité numérique
♦ collaboration entre privé et public indispensable
♦ « policiariser » et judiciariser Internet à outrance n’est pas envisageable : besoin d’éduquer la population aux usages d’Internet ; exemple : les Fake News
Proposition : Introduire les modules sur la sécurité numérique lors des journées de service national et dans les cours de technologie au collège.
A propos de l’ouvrage « Le droit face à la disruption numérique : Adaptation des droits classiques – Émergence de nouveaux droits » (Lextenso Editions).
Cet ouvrage, qui n’est surtout pas un manuel de droit, a surtout le mérite de poser, à l’aide d’exemples concrets et avec des extraits de jurisprudence, des cas d’école où le droit « traditionnel » se confronte à ses propres limites, et où, effectivement, un « nouveau » droit apparaît. C’est tout son intérêt, car, bien plus que des leçons, il donne à des chefs d’entreprise et à des responsables juridiques et informatiques des pistes de réflexion pour aborder la nécessaire évolution, voire la naissance possible, d’un « droit numérique », que de plus en plus de professionnels appellent de leurs vœux.
INTERVIEW de Myriam QUEMENER autour de son livre
Pourquoi avoir choisi le mot « disruption » et non pas révolution ou transition numérique pour votre nouvel ouvrage ?
J’ai voulu à travers ce terme souligner que le numérique était bien sûr un progrès, un levier économique, sociétal et culturel mais aussi qu’il marquait une rupture totale avec le passé et que son incidence sur le droit, les droits était majeure. Les règles juridiques classiques, qu’il s’agisse du droit civil, pénal, commercial ou social tentent constamment de s’adapter aux nouvelles fonctionnalités de l’Internet et du numérique, que ce soit face aux objets connectés, aux smart et safe cities ou par exemple la blockchain.
J’ajoute que cette disruption vise aussi les institutions régaliennes qui s’adaptent progressivement en créant par exemple des services spécialisés de la police et de la gendarmerie et la justice s’est vu attribuer par le législateur au niveau de la juridiction parisienne une compétence territoriale en matière d’infractions informatiques. Les organisations, les autorités administratives indépendantes, les entreprises et aussi les citoyens doivent aussi s’adapter face à toutes ces perturbations numériques.
De plus, les grands acteurs de l’internet ont développé des modèles économiques qui bouleversent les Etats et il est temps de réagir ce qui est en train de s’opérer avec les enjeux liés aux fuites de données et à leur revente au détriment des citoyens et sur ce point le vent est en train de tourner.
Votre ouvrage est-il un manuel de droit essentiellement pénal ?
Absolument pas même si je suis un magistrat pénaliste et que j’ai consacré de plus amples développements en raison notamment de l’actualité, le point de départ de ma réflexion a été de constater une atténuation progressive des frontières entre les droits. Par exemple, face à une infraction pénale comme l’apologie du terrorisme, le législateur a prévu désormais des réponses administratives de blocage ou de déréférencement outre les peines classiques d’emprisonnement et d’amende. J’ai aussi abordé les tendances numériques en matière de droit civil, droit commercial, droit social, droit administratif en présentant les jurisprudences les plus significatives et actuelles. Il est aussi important de souligner l’importance des travaux du Conseil d’Etat par exemple à travers ses rapports annuels sur le numérique et l’ubérisation qui donne des pistes pour définir progressivement une politique publique en matière de numérique.
Qu’est-ce qui distingue votre ouvrage des autres livres sur ces sujets de la cybercriminalité et du numérique en général ?
Tout d’abord ma démarche est celle d’un juriste bien sûr mais aussi celle d’un praticien du droit qui observe et qui analyse depuis des années des procédures et qui en tire des conclusions notamment sur deux sujets fondamentaux en matière de numérique : l’identité et la preuve qui sur le plan du numérique doivent être renforcées pour devenir incontestables. Si les frontières entre les droits s’atténuent, elles s’estompent aussi entre les institutions et des liens se créent entre le public et le privé. Mon ouvrage présente aussi un plan d’action avec des préconisations très pragmatiques et peu coûteuses afin d’améliorer les réponses juridiques et opérationnelles en matière de numérique pour définir une véritable stratégie et une gouvernance ambitieuse en ce domaine. Ce n’est pas uniquement une question de coût financier mais essentiellement des modifications des comportements humains et une culture nouvelle à insuffler dans l’ensemble de l’écosystème.
Participants
Myriam QUEMENER, avocat général, Cour d’Appel de Paris
Laure de LA RAUDIERE, Députée d’Eure-et-Loir, membre de la Commission des Affaires économiques, Co-présidente du groupe d’études cybersécurité et souveraineté numérique, Assemblée nationale
Christiane FERAL-SCHUHL, Présidente, Conseil National des Barreaux
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