En matière de numérique, les textes s’enchaînent à un rythme effréné. Après le projet de loi de programmation militaire renforçant notamment les pouvoirs de l’ANSSI en matière de cybersécurité, voici deux nouveaux textes, l’un pour sécuriser l’espace numérique, l’autre pour règlementer l’activité des influenceurs1, l’objectif commun étant de rassurer les citoyens, majeurs ou mineurs, et les entreprises.

Le 10 mai 2023, Jean-Noël Barrot, Ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, a présenté en Conseil des ministres un projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique2. L’objectif est de répondre aux « inquiétudes, aux difficultés et parfois aux souffrances que cause le numérique dans la vie quotidienne des Français. » Les mesures proposées ont pour objectif de protéger les citoyens, les mineurs, les entreprises et les collectivités, et enfin, la démocratie.

Ce projet de loi s’attache à restaurer la confiance des Français en l’espace numérique. Il devrait être prochainement consolidé et précisé lors des débats parlementaires qui débuteront au mois de juillet.

Ce projet de loi adapte le droit national aux règlements européens tels que le Data Act, le Digital Service Act (DSA) et le Digital Markets Act, sur les travaux parlementaires concernant les enjeux du numérique, ainsi que sur de nombreuses consultations publiques.

Lutter contre les arnaques

Tout d’abord, un premier constat : au moins 51% des Français ont été victimes d’une tentative d’accès frauduleuse à leurs données. La cybercriminalité du quotidien se professionnalise.

Pour faire face à cette menace, ce projet de loi prévoit la mise en place d’un filtre de cybersécurité anti-arnaque. Concrètement, et à titre d’exemple, lorsque l’on reçoit un SMS frauduleux imitant l’assurance maladie invitant à cliquer sur un lien pour y déposer les coordonnées bancaires, un message indiquera que le site vers lequel on se dirige est compromis.

Règlementer les influenceurs

 

L’objectif est là aussi de lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs notamment sur les réseaux sociaux3. La loi pose un cadre pour protéger les influenceurs comme les consommateurs sur les réseaux sociaux, particulièrement les plus jeunes. Un guide de bonne conduite pour les influenceurs et créateurs de contenus vient d’être également publié4.

On estime à quelque 150 000 le nombre d’influenceurs actifs en France sur Youtube, Instagram, TikTok, Facebook. Il apparait qu’une minorité d’entre eux, très active sur les réseaux, recourt à des pratiques abusives ou à des escroqueries mais avec des conséquences dévastatrices pour leurs abonnés victimes. Ces pratiques nuisent aussi à l’immense majorité des influenceurs et des créateurs de contenus qui respectent les règles.

Les influenceurs5 sont désormais définis comme des personnes qui, contre rémunération ou avantages en nature, « mobilisent leur notoriété auprès de leur audience pour communiquer » en ligne « des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque ».

L’activité d’agent d’influenceurs, qui met ceux-ci en relation avec les marques, est également définie. Les influenceurs, leurs agents ou les annonceurs devront passer des contrats écrits, au-delà d’un certain seuil de rémunération ou d’avantages en nature (qui sera défini par décret). Ces contrats devront inclure certaines clauses obligatoires : missions confiées, conditions de rémunération, soumission au droit français dès lors que sont visés des abonnés en France…

Afin d’indemniser d’éventuelles victimes, les parlementaires ont introduit le principe d’une responsabilité solidaire entre l’annonceur, l’influenceur et son agent. De plus, les influenceurs résidant à l’étranger hors Europe devront désigner un représentant légal dans l’Union Européenne et souscrire une assurance civile dans l’UE dès lors qu’ils visent un public en France.

Des mesures spécifiques viennent protéger les enfants influenceurs et les règles sur le travail des enfants Youtubeurs sur les plateformes de partage de vidéos, fixées par la loi du 19 octobre 2020, sont étendues à toutes les plateformes en ligne (réseaux sociaux telles qu’Instagram, Snapchat ou TikTok). Les enfants influenceurs commerciaux seront protégés par le code du travail. Leurs parents devront signer leurs contrats avec les annonceurs et consigner une part de leurs revenus (le pécule). Les obligations des plateformes en ligne (YouTube, TikTok…) sont renforcées. Conformément au Digital Services Act (DSA), elles devront proposer un bouton pour signaler les contenus illicites, traiter en priorité les notifications des signaleurs de confiance et retirer au plus vite ces contenus. La règlementation sur la publicité est aujourd’hui insuffisante à encadrer et sanctionner les principales dérives et arnaques pratiquées par quelques influenceurs peu scrupuleux.

La proposition de loi, complétée par les parlementaires, rappelle que les influenceurs doivent respecter le cadre légal sur la publicité et la promotion des biens et des services (loi dite « EVIN », code de la consommation, normes sur les produits gras, sucrés et salés …). De plus, elle interdit les publicités faisant la promotion de la chirurgie et la médecine esthétique ; de produits et services financiers, comme par exemple les crypto-monnaies ; de l’abstention thérapeutique ; des sachets de nicotine – dont la vente sur Internet se développe auprès des adolescents ; des abonnements à des conseils ou des pronostics sportifs. La publicité impliquant des animaux sauvages est aussi interdite et celle des jeux d’argent et de hasard est encadrée afin de protéger les mineurs, de même que la promotion d’inscriptions à des formations professionnelles, notamment via le compte personnel de formation (CPF).

Face aux nombreuses dérives constatées dans la pratique du dropshipping6 ou « livraison directe » (vente de produits de mauvaise qualité ou contrefaits, absence de livraison), les influenceurs seront responsables vis-à-vis des acheteurs.

Pour une meilleure information de leurs abonnés, les influenceurs devront indiquer clairement la mention « publicité » ou « collaboration commerciale » sur leurs contenus promotionnels.

Pour protéger les plus jeunes, les photos ou vidéos de visage ou de silhouette modifiées, notamment à l’aide de filtres, ou réalisées par intelligence artificielle devront contenir la mention « images retouchées » ou « images virtuelles ». Les collégiens devront être sensibilisés contre les contenus sexistes, la manipulation commerciale, les risques d’escroquerie en ligne et les outils mis à disposition par les plateformes pour signaler des contenus illicites.

La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a mené depuis 2021 une soixantaine d’enquêtes sur les pratiques commerciales des influenceurs, dont il ressort que 60% des influenceurs contrôlés ne respectaient pas la réglementation relative à la publicité et manquaient aux droits des consommateurs. Les pouvoirs de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes7 en matière d’astreintes et de mises en demeure prononcées à l’encontre des influenceurs sont renforcés.

Les influenceurs, qui violeraient les interdictions ou obligations posées par la proposition de loi, risqueront une peine d’emprisonnement et de fortes amendes (jusqu’à 300 000 euros dans certains cas) ainsi qu’une interdiction d’exercer.

Les réseaux sociaux devront s’engager à collaborer avec l’Etat pour réguler le secteur de l’influence commerciale et favoriser l’information du public sur les droits et devoirs des influenceurs et de leurs agents.

 

Lutter contre le cyberharcèlement

 

Le texte prévoit en outre une peine complémentaire de bannissement des réseaux sociaux pour les personnes reconnues coupables de cyberharcèlement. La violence du cyberharcèlement se déplaçant d’un réseau social à l’autre, l’objectif est ici d’empêcher les cyberharceleurs de multiplier leurs terrains d’attaques. Pour cela, il est prévu que les juges puissent empêcher, pour une durée de six mois, la réinscription des personnes condamnées sur les réseaux sociaux.

Les jeux en ligne

 

Le projet de loi envisage de définir un régime pionnier et protecteur des utilisateurs pour encadrer les nouveaux jeux en ligne, fondés sur la technologie émergente du web 3. Ce régime a vocation à offrir les garanties nécessaires à la protection des mineurs, à la lutte contre le blanchiment, tout en facilitant le développement en France de ce type d’activité innovante.

Protection des mineurs

 

Chaque mois, deux millions d’enfants sont exposés à des contenus pornographiques et il apparait que les sites en ce domaine ne sont pas assez vigilants à l’égard de l’âge de leurs utilisateurs. En conséquence, le projet de loi envisage de permettre à l’ARCOM de prononcer le blocage, le déréférencement et une sanction dissuasive (pouvant aller jusqu’à 4% du chiffre d’affaires) à l’égard des sites pornographiques qui refusent de mettre en place une vérification fiable et sans fichage de l’âge de leurs utilisateurs. Une peine d’un an d’emprisonnement et 250 000 euros d’amende pourront être prononcés contre les hébergeurs qui ne retireront pas les contenus pédopornographiques qui leur seront signalés par les forces de l’ordre. Enfin, en application directe du DSA, la publicité ciblée sur les mineurs ou à partir des données sensibles sera interdite.

Dispositions pour assurer la protection des entreprises et des collectivités

 

Au-delà de la protection des citoyens et des mineurs, le ministre entend également intégrer au projet de loi des dispositions protectrices des entreprises. Là encore, le constat effectué est tout à fait parlant : 70% des parts de marché du cloud sont détenus par trois fournisseurs en France.

Le texte souhaite favoriser l’interopérabilité des services cloud afin de concrétiser le droit à la portabilité des données d’une entreprise chez un autre fournisseur. Ainsi, il prévoit de faciliter le changement de fournisseur par les entreprises en interdisant tout frais de transfert. Une sanction d’un milliard d’euros est prévue en cas de non-respect de cette interdiction. En sus, il devra être possible pour une entreprise d’avoir plusieurs fournisseurs, afin de réduire toute dépendance.

Par ailleurs, ce projet de loi prévoit la création d’une base de données unique pour recenser l’activité des meublés de tourisme loués via les plateformes. La création d’un intermédiaire chargé de standardiser et partager les données permettra une régulation plus efficace et moins coûteuse.

Protection de la démocratie

 

La lutte contre la désinformation en ligne sera notamment favorisée par la possibilité pour l’ARCOM d’enjoindre tout site internet de faire cesser la diffusion de contenus de médias faisant l’objet de sanctions internationales. Sans réaction de la part de tels sites dans les 72 heures suivant cette mise en demeure, l’ARCOM pourra ordonner leur blocage.

Perspectives

 

La faisabilité technique de l’ensemble de ces mesures devra être expertisée, tant les défis sont importants. La question de la compatibilité de ces dispositions avec d’autres exigences réglementaires devra aussi être évaluée. Plus généralement, on note un renforcement constant de la responsabilité des acteurs évoluant dans le digital : une tendance positive qui permet de rassurer les citoyens sans pour autant freiner les innovations numériques.

1 Proposition de loi n°122, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux

2 https://www.economie.gouv.fr/numerique-projet-loi-protection-citoyens-entreprises-internet

3 Proposition de loi n°790 visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux

4 https://www.economie.gouv.fr/files/files/2023/Guide_bonne_conduite_influenceurs.pdf?v=1685698990

5 M.Quéméner, Ecosystème numérique : enjeux juridiques et sociétaux, Gualino 2023

6 https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/Publications/Vie-pratique/Fiches-pratiques/le-dropshipping

7https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/dgccrf/presse/communique/2023/CP-Marketing-dinfluence-des-influenceurs.pdf?v=1676017191

Sébastien VIOU

Une Parole d’Expert de

Myriam QUEMENER

Magistrat

Docteur de droit

Parue le 09 juin 2023

L’utilisation de tout ou partie des textes contenus dans cet article doit être soumise à validation auprès du CyberCercle
et devra s’accompagner d’une référence ©CyberCercle