Le blanchiment d’argent est un délit consistant à̀ masquer l’origine frauduleuse de sommes d’argent. Il est assimilé à un processus réalisé par le biais de plusieurs opérations et est sanctionné en droit luxembourgeois aux termes de l’article 506 du Code pénal. Les criminels, conscients de la dangerosité de l’argent sale, susceptible de constituer une preuve des activitéśs criminelles commises pour son obtention ou encore de faire l’objet d’une enquête et donc d’une saisie, cherchent à donner une apparence honnête à cet argent gagné de façon malhonnête. Ce blanchiment est donc perpétué en dissimulant des actifs d’origine illégale par l’utilisation abusive d’instruments et de circuits financiers, dans l’optique de réduire la probabilité qu’un lien soit établi entre les délits commis et la richesse créée. Il s’agit in fine de réintroduire l’argent illégalement obtenu dans le circuit économique et monétaire légal afin d’en profiter et pourquoi pas le faire prospérer quand celui-ci est par exemple placé sur les marchés financiers.
Les techniques de blanchiment sont variées, tantôt artisanales, tantôt financières et plus récemment digitales. Lorsqu’il s’agit de techniques artisanales, on pense classiquement à l’achat d’or, à la surfacturation, aux faux gains aux jeux ou encore aux fausses ventes aux enchères. Néanmoins, elles peuvent prendre également une dimension financière et plus complexe. Il s’agit là des fausses factures, de l’exemple du prêt adossé, des techniques de prêt autofinancé auprès des banques, des opérations immobilières etc. Plus récemment, les nouvelles technologies ont permis l’essor de nouvelles techniques par le biais des jeux en ligne, des ventes fictives en ligne ou encore par le recours aux crypto monnaies.
Les crypto monnaies fascinent par le caractère obscur accordé à celles-ci mais aussi en raison de leur nouveauté. Très peu osent les définir et nombreux sont ceux qui, pour les décrire, préfèrent esquisser une définition de ce qu’elles ne sont pas ou offrir une définition trop large et donc imprécise. Tandis que Dominic Wilson estime qu’elles sont « des avoirs financiers à valeur spéculative pouvant servir de moyen d’échange », il conviendrait plutôt de retenir que celles-ci s’apparentent à un moyen de paiement virtuel utilisable essentiellement sur Internet mais dont la portée semble également offrir des perspectives « physiques ». En vertu de l’article 3, paragraphe 18, de la directive 2015/849 /UE tel que modifié par la cinquième directive relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux (5ème directive AML), celles-ci sont : « des représentations numériques d’une valeur qui ne sont émises ou garanties ni par une banque centrale ni par une autorité publique, qui ne sont pas nécessairement liées non plus à une monnaie établie légalement et qui ne possèdent pas le statut juridique de monnaie ou d’argent, mais qui sont acceptées comme moyen d’échange par des personnes physiques ou morales et qui peuvent être transférées, stockées et échangées par voie électronique ».
Les crypto monnaies comme nouvel intermédiaire de blanchiment
Les crypto monnaies sont appréciées des criminels qui s’en servent comme nouvel intermédiaire de blanchiment, notamment en raison de transactions très rapides et parfois intraçables selon la transparence inhérente à la blockchain concernée. A titre d’exemple, les opérations en Monero permettent une dissimulation totale en mêlant diverses transactions, rendant ainsi la remontée à l’émetteur impossible. Aussi, il convient d’évoquer la menace relative aux mixeurs. Ils prennent la forme de plates-formes et d’intermédiaires qui transmettent des fonds au nom des utilisateurs en encaissant des crypto monnaies dans une monnaie fiduciaire ayant cours légal, en les convertissant dans un autre crypto monnaie, ou en les transmettant à une autre adresse de crypto monnaie de telle sorte que le flux de fonds ne puisse pas être visualisé et retracé directement sur la blockchain. Le fonctionnement repose sur un phénomène de regroupement des crypto monnaies appartenant à de nombreux utilisateurs, sur le fait de mélanger les entrées et les sorties des transactions et finalement redistribuer les pièces parmi les utilisateurs. L’idée est ainsi d’optimiser l’anonymat des pièces en brouillant la piste des transactions pour rendre plus difficile le déchiffrement du flux. Ces mixeurs sont tout particulièrement appréciés lorsqu’il s’agit de blanchir des capitaux par le biais des crypto monnaies.
A cela s’ajoute l’essor de ce qui pourrait être qualifié de crypto-crimes. Ceux-ci sont l’illustration d’une cybercriminalité croissante avec l’obtention frauduleuse de crypto monnaies ainsi que l’usage illicite de celles-ci. A titre d’exemple, de plus en plus d’utilisateurs de crypto-actifs stockent les clés privées pour accéder à leurs fonds de crypto-actifs chez des fournisseurs de stockage en ligne ou des sites de trading qui offrent des services de conservation à leurs clients afin de rendre leur expérience globale dans le monde de la cryptographie plus accessible. Or, en agissant de la sorte, les consommateurs s’exposent à des risques : si les clés privées d’un utilisateur sont volées ou rendues inaccessibles lors d’un piratage du fournisseur de stockage ou de l’échange, il ne pourra plus accéder à ses crypto-actifs, ce qui entraîne une perte des fonds. Une fois subtilisées, ces crypto monnaies seront insérées dans un circuit de blanchiment.
Les crypto monnaies comme moyen de détection et outil stratégique dans la lutte contre le blanchiment de capitaux
Pourtant, les crypto monnaies offrent de réelles perspectives tant technologiques que financières dans un avenir digitalisé. Elles offrent la possibilité de lutter contre le blanchiment d’argent en permettant de retracer les transactions par le biais de la blockchain et ainsi de mettre en lumière les circuits criminels profitant du numérique pour blanchir des capitaux d’origine illégale. En effet, la blockchain offre l’opportunité de pouvoir retracer l’ensemble des transactions correspondantes en partant d’un bloc, d’une adresse, d’un hash de bloc, d’un hash de transaction ou encore d’une adresse IP. Les crypto monnaies deviendront un acteur majeur en matière de détection et seront garanties de davantage de transparence que les monnaies fiduciaires, qui elles, bien que moins critiquées, sont finalement bien plus propices au blanchiment. On ne peut que sourire face au constat que la décentralisation sera à terme synonyme de plus d’efficacité dans la lutte contre ce phénomène économique.
Face à des avancées technologiques constantes, le législateur se doit lui aussi d’être innovant. A ce titre, évoquons la 5ème et la 6ème directives AML de l’Union européenne fournissant toutes deux de précieux apports en la matière. Le cadre réglementaire est fondé sur la stratégie de suivre l’argent, une stratégie similaire aux prémices de la lutte générale contre le blanchiment d’argent. En effet, en privant les criminels des bénéfices économiques de leurs activités illicites, la réglementation s’attaque à un large éventail d’infractions sous-jacentes. De ce fait, la 5ème directive AML ne vise pas uniquement les transactions suspectes de crypto monnaies susceptibles de faire partie d’un dispositif de blanchiment d’argent. Les tâches de surveillance qui en résultent aident également à détecter d’autres formes d’activités criminelles, qui tirent parti de l’écosystème des crypto monnaies. La 6ème directive AML met quant à elle l’accent sur la prévention relative à la cybercriminalité, sur la nécessité d’accroître la coopération mais aussi par une innovation : celle de la pénalisation des personnes morales pour l’infraction de blanchiment commise par le biais des crypto monnaies.
Des progrès nécessaires pour assurer une lutte efficace
Les 5ème et 6ème directives demeurent néanmoins perfectibles et un rapport en date d’avril 2020, réalisé à la demande de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement Européen, laisse transparaître les innovations normatives nécessaires pour assurer une lutte adéquate contre le blanchiment de capitaux par le biais des crypto monnaies. Il conviendrait d’élargir le champs de définition des monnaies virtuelles en intégrant les tokens, d’élargir la liste des professionnels assujettis, de prêter une attention accrue aux mineurs de crypto monnaies, d’envisager la mise en place d’un surveillant au niveau européen en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, d’accroître les outils de détection et d’enquête ainsi qu’améliorer la clarté et l’accès à l’information légale en matière de crypto actifs. Il est d’autant plus impérieux de prévoir un cadre règlementaire strict puisque les crypto actifs échappent aux directives MiFID II ou encore EMD2. Enfin, il pourrait être judicieux pour le législateur de prêter une attention accrue à la cybercriminalité avec l’émergence du vol de crypto monnaies ou encore la mise en place de circuits criminels digitalisés. Le même rapport suggère de blacklister les crypto monnaies subtilisées – les bloquant ainsi pour toute transaction future et empêchant une manœuvre probable de blanchiment.
Les criminels ne cessent de faire preuve d’ingéniosité lorsqu’il s’agit de mettre en place des moyens et techniques novateurs de blanchiment. Récemment, l’opportunité de blanchir des capitaux par le biais des crypto monnaies a pu séduire, mais les efforts constants prodigués par le législateur et les organismes compétents, invitent à penser que les crypto monnaies sont promises à un avenir radieux mais surtout à une exposition criminelle amoindrie. La clé réside dans la capacité des innovations juridiques à suivre le rythme effréné des innovations technologiques.
Une Parole d’Expert de
Amaury GREVESSE-SOVET
Junior Associate
Département Corporate, Banking & Finance
Cabinet Elvinger Hoss Prussen
Parue le 14 janvier 2022