Le soutien aux technologies de rupture est une nécessité pour préserver notre souveraineté. C’est en favorisant la création d’écosystèmes porteurs et en aidant nos acteurs économiques à se structurer que nous regagnerons en France et en Europe « notre autonomie stratégique » comme le rappelait récemment le Président de la République[1].
C’est tout l’objet de la Fédération Française des Professionnels de la Blockchain dont l’objectif est de mettre en relation les acteurs privés travaillant sur ce sujet afin qu’ils parlent d’une seule voix au niveau national et européen.
Particulièrement investi sur la blockchain depuis plusieurs années, que ce soit en tant que rapporteur de la mission d’information parlementaire qui a rendu ses conclusions en 2018 à l’Assemblée nationale, qu’en tant que co-fondateur et Président d’honneur de la Fédération Française des Professionnels de la Blockchain, je me réjouis de voir que ce sujet progresse aux niveaux national et européen. Néanmoins, nous devons aller plus loin pour structurer nos initiatives sur deux points.
D’abord dans le champ économique où, après avoir raté le virage de la nouvelle économie dans les années 2000, nous devons agir rapidement dans la course aux innovations de rupture face à nos concurrents américains et chinois. La création d’un cadre réglementaire favorable à l’innovation et le lancement d’une stratégie industrielle ont vocation à combler cet écart.
Ensuite dans le champ monétaire, où plusieurs banques centrales mettent en place leurs propres monnaies digitales pour prendre de vitesse le projet de cryptoactif Libra initié par Facebook. L’euro numérique permettrait à la France et à l’Europe de disposer, avec un temps d’avance sur l’étranger, d’un puissant levier d’affirmation de souveraineté́[2].
Je suis convaincu que la question de notre souveraineté dans l’espace numérique est décisive pour les années à venir. C’est la raison pour laquelle, en tant que Président d’honneur de la Fédération Française des Professionnels de la Blockchain, j’appelle à faire de la blockchain l’un des piliers de notre stratégie économique et monétaire.
La première étape pour soutenir le développement de la blockchain est de créer un cadre législatif et réglementaire favorable à l’innovation et de formaliser une stratégie industrielle pour les technologies de rupture.
C’est d’abord en établissant un cadre juridique clair que nous permettrons à nos entrepreneurs de recourir à la blockchain et sécuriserons les investisseurs qui soutiennent l’essor de cette technologie.
Le Secrétaire d’État au Numérique Cédric O le rappelait lors de la réunion de lancement de la Fédération Française des Professionnels de la Blockchain[3] : cette technologie incarne la manière dont se développe l’innovation et la manière dont les pouvoirs publics interagissent avec elle. Alors qu’au départ les innovations de rupture bousculent l’ordre établi, elles ont ensuite vocation à s’insérer dans un cadre institutionnel qui en permet le développement.
La France a été particulièrement exemplaire en la matière : elle a su mettre très tôt en place un cadre juridique favorable à l’essor de la blockchain pour renforcer notre attractivité et améliorer la compétitivité de nos entreprises à l’international. Ainsi le cadre juridique français a été progressivement clarifié pour permettre aux entrepreneurs d’utiliser la blockchain sans casser la dynamique d’innovation. Par exemple avec la loi PACTE, nous avons instauré un cadre pour les levées de fonds par émissions de jetons afin de sécuriser les émissions et de garantir l’intégrité du marché en fournissant une information fiable aux investisseurs.
L’évolution de la réglementation dans un sens favorable aux technologies de rupture est un véritable enjeu pour renforcer l’attractivité de la France à l’international. Il existe en effet une forte concurrence. La Chine a par exemple très clairement annoncé son intention de devenir leader sur la blockchain et aménage son cadre juridique pour soutenir des acteurs chinois.
C’est pour répondre à cet enjeu que j’ai préconisé à l’Assemblée de mener une revue générale des normes qui conditionnent encore l’essor de la blockchain.
Mais créer un cadre juridique favorable est insuffisant. Nous devons aussi aller plus loin en mettant en place une stratégie industrielle aussi bien en France qu’au niveau de l’Union européenne afin de favoriser le développement de la blockchain.
La stratégie nationale blockchain répond en partie à cet objectif, en créant un écosystème alimenté par des financements publics de soutien à la R&D sur le modèle de l’intelligence artificielle. Dans le même sens, pas moins de sept milliards ont été annoncés sur les technologies de rupture dans le cadre de France Relance.
Si je salue l’ensemble de ces initiatives, elles sont encore insuffisantes pour permettre à la France de se positionner comme leader sur la blockchain au niveau international et ainsi retrouver sa souveraineté. C’est à nous d’encourager le développement de solutions souveraines sur blockchain avec des infrastructures régaliennes et d’aider nos acteurs économiques à émerger. La Fédération Française des Professionnels de la Blockchain devrait en être un des éléments moteurs. Elle est, en effet, un moyen unique d’unir nos forces afin qu’ensemble, nous facilitions la croissance et l’expansion de nos entreprises tout en partageant une vision commune de la blockchain. Cette vision, je la partage avec Rémy Ozcan, président de la Fédération Française des Professionnels de la Blockchain et l’ensemble de nos partenaires économiques.
C’est également un enjeu décisif en matière monétaire, où il en va de la survie de notre gouvernance publique face aux GAFAM. Si nous voulons soutenir l’essor de la blockchain nous devons concurrencer les initiatives privées comme le Libra en créant en premier une monnaie digitale de banque centrale pour renforcer notre souveraineté
L’annonce du lancement du Libra, un cryptoactif privé qui a pour objectif de servir de moyen de paiement sur les applications du groupe Facebook, a été très critiqué au niveau international au cours de l’année 2019.
Le G7 et les gouvernements européens ont refusé en bloc le déploiement du Libra dans les conditions actuelles et rappellent aujourd’hui leur attachement à la souveraineté monétaire.
J’avais en ce sens interpelé Bruno le Maire en juin dernier sur les dangers du Libra. En effet si différents risques ont toujours été associés à l’existence de monnaies digitales privées, leurs récents développements technologiques (les stablecoins) impliquent des menaces spécifiques.
Le rapport présenté par Benoit Coeuré met en avant un risque systémique pour la stabilité des monnaies et une menace particulière en matière de blanchiment d’argent. Plus encore, ce sont les risques en matière de souverainetés monétaires qui alertent les gouvernements et les organisations internationales.
C’est pour freiner ces initiatives privées qui menacent notre souveraineté que les banques centrales mettent en place leurs propres monnaies numériques sous forme de monnaie digitale de banque centrale.
Il existe plusieurs projets de ce type au niveau international. Aux États-Unis le lancement de Fedcoins convertibles à parité avec le dollar est envisagé par la FED. Le projet de renminbi numérique est un élément déterminant de l’internalisation monétaire de la Chine.
En France la Banque de France a lancé en janvier 2020 son premier appel à projets pour expérimenter une monnaie digitale de banque centrale. Il s’agit du premier test d’envergure pour une monnaie digitale de gros, c’est-à-dire destinée au secteur financier. Les résultats permettront en outre à la France de contribuer à la réflexion plus globale conduite par l’Eurosystème sur la mise en place d’un euro numérique à l’échelle européenne.
Nous avons aujourd’hui la possibilité de rebattre les cartes sur la blockchain en imposant de nouvelles règles qui s’accorderont mieux avec nos intérêts économiques et stratégiques et nos valeurs. Les acteurs français de la blockchain doivent être moteurs sur le développement d’infrastructures régaliennes indispensables au développement d’une blockchain souveraine et à la mise en place d’une monnaie numérique de banque centrale européenne.
[1] Une conversation avec le Président français dans Le Grand Continent 16 novembre 2020 : https://legrandcontinent.eu/fr/2020/11/16/macron/
[2] Discours de François Villeroy de Galhau Gouverneur de la Banque de France, 4 décembre 2019 : https://www.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/2019.12.04_conference_acpr_v5.pdf
[3] Retransmission de la première réunion de la Fédération française de la blockchain sous le patronage de Cédric O : https://www.federation-blockchain.fr/accueil/
Une tribune « Parole d’Expert » de Jean-Michel MIS, député de la Loire
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