Compte rendu du CyberCercle du 9 décembre 2016 sur les MSGU, avec Marina TYMEN, secrétaire générale de l’association VISOV et Romain PIGENEL, directeur adjoint du SIG, en charge du numérique. Cette rencontre fut placée sous la présidence d’Eduardo RIHAN CYPEL, député de Seine-et-Marne. 

Les médias et réseaux sociaux créent un nouvel univers dans le cyberespace. A l’occasion d’événements de crise, tels que les attentats de janvier ou novembre derniers, nous avons vu que de nouvelles difficultés se posent à la liberté d’expression. Elles peuvent provoquer des dangerosités et en particulier dans le cadre d’une intervention en temps réelle des autorités (police, GIGN etc.) mais également informer les terroristes et les amener à commettre d’autres attentats. 

Afin de limiter ces risques, il faut comprendre comment les citoyens, récepteurs et producteurs d’informations, peuvent avoir de bons réflexes sur le cyberespace et être utiles à l’intérêt général, voire à la protection d’autres citoyens, en donnant de bonnes informations ou en n’en donnant pas.

Ce petit déjeuner débat avait vocation à présenter l’action de l’association VISOV dans le cadre de la gestion d’urgence, environnementale/météorologique, terroriste, industrielle etc., et à poser le cadre d’une thématique qui se verra prendre une place de plus en plus importante dans les débats publics.

 

Eduardo RIHAN CYPEL : Est-il possible de dresser une typologie des comportements et des internautes en temps de crise ?

Romain PIGENEL :

On peut dresser un constat empirique de quelques comportements et types d’internautes récurrents :

  • Les témoins directs : ils assistent à des événements ou pensent y assister (exemple des suspicions de répliques d’attentats le weekend suivant les attentats). Ces témoins publient en direct des messages écrits, des images et des vidéos, pour apporter leur témoignage empirique sur une situation en cours. On a vu par ailleurs que ces témoins directs ont été les premiers à réagir sur les réseaux sociaux le soir des attentats, qui alertaient sur la présence d’individus armés et la prise d’otage.
  • La sphère journalistique professionnelle : deux situations sont envisageables dans ce sens
  • Les journalistes présents sur place au moment de la crise ou qui viennent pour couvrir l’événement, ceux-ci donnent de l’information plutôt fiable.
  • Les journalistes qui ne sont pas présents et ne détiennent pas l’information de première main. Ces journalistes peuvent être conduits à relayer des informations qu’ils trouvent en ligne, cela favorisant parfois la diffusion de la mauvaise information.
  • Les « commentateurs » : cette catégorie est la plus importante en nombre, elle rassemble les individus qui assistent aux événements de manière indirecte, devant les réseaux et médias sociaux. Coincés entre l’horreur de la crise et leur impuissance, ils vont commenter les événements pour extérioriser leur émotion : commentaires d’effroi, polémistes, humoristiques…
  • Les « commentateurs de bonne volonté » : ils présentent les mêmes caractéristiques que la catégorie précédente, se demandant davantage comment ils peuvent agir utilement. Suite aux attentats de novembre, cette catégorie d’internaute a été à l’initiative du #PorteOuverte notamment. Ce qui est intéressant, est le fait que ce type de comportement nait de manière spontanée par des individus non spécialisés dans la gestion de crise, mais qui se sont emparés du cyberespace pour se rendre utiles.

 

Ces éléments nous permettent d’affirmer que les réseaux sociaux, bien que vecteurs de risques, sont également porteurs d’opportunités pour les utilisateurs.

Beaucoup d’internautes souhaitent aider mais ne savent pas toujours comment s’y prendre. Alors, comment donner une culture de l’action en cas de crise ? Comment donner aux internautes des outils et instructions, fiables et officiels ?

C’est ainsi que l’association VISOV intervient sur les médias sociaux pour relayer l’information fiable et officielle.   

 

Eduardo RIHAN CYPEL : Qu’est-ce que l’approche Médias Sociaux & Gestion d’urgence (MSGU) ?

Marina TYMEN : VISOV est la traduction française des « Virtual Operation Support Teams » spécialisées dans le « social media in emergency management » (#SMEM) que nous avons aussi traduit par MSGU pour Médias Sociaux en Gestion d’Urgence.

A ce jour, VISOV est l’unique VOST francophone reconnue à l’international. L’association travaille de plus en plus avec ses homologues étrangers qui ont une méthodologie relativement similaire, afin de pouvoir éventuellement se suppléer à elles en cas d’urgence.

VISOV a plusieurs missions principales et notamment :

  • Le monitoring sur le web : le « crowdsourcing» consiste en de la recherche d’informations sur tous les médias sociaux (réseaux sociaux, blogs, vidéos, forums webcams etc.). Les volontaires travaillent virtuellement en coordination de chez eux et avec leur propre matériel. Cette initiative est partie d’une volonté de se rendre utile, d’intervenir en diffusant les bons messages. La récolte d’informations se fait sur le web ou dès qu’un événement lié à la sécurité civile se produit (inondations, séisme, épidémies, orage, attentats etc.). Tout ce qui est produit sur le web est veillé par les volontaires, avec aussi le souhait de viraliser les informations fiables émises par les autorités. C’est pourquoi VISOV s’est rapproché du SIG. 
  • Le rassemblement des données collectées dans un classeur collaboratif, sorte de main courante : le lien de ce document sera ensuite envoyé aux partenaires publics, acteurs de la sécurité civile (pompiers, Croix-Rouge et COGIC par exemple). Ces éléments constituent une réelle aide pour les autorités qui ne disposent pas encore de cellules de veille MSGU intégrées.

 

Le but de VISOV n’est donc pas de collecter le maximum de données mais de trouver la bonne donnée. C’est à ce titre que s’organise un tri et une analyse humaine en amont afin de ne transmettre aux autorités que les informations pouvant aider au pilotage et au déploiement des opérations de secours.

Dans le cas de catastrophes naturelles, VISOV réalise aussi des cartes collaboratives visant à tirer le meilleur profit des publications trouvées. Celles-ci sont ensuite re-spatialisées pour mettre à la portée des acteurs de la sécurité civile et aux citoyens une carte compréhensible, lisible et pertinente. Le tri réalisé par les volontaires permet alors d’éviter le relai de mauvaises informations et des rumeurs, très virales sur Internet.

En parallèle des MSGU, existent les Medias Sociaux pour les Forces de l’Ordre (MSFO). Ces deux approches sont similaires, avec un acteur in fine unique, à savoir l’Intérieur, mais la nature du e-volontariat numérique par les citoyens peut différer.

En conclusion, l’approche MSGU consiste en une présence intelligente en ligne de volontaires, chargés d’aider les acteurs de la sécurité civile en cas d’événement de crise.

 

Eduardo RIHAN CYPEL : Pouvez-vous dresser un état des lieux de ce qui est fait aujourd’hui dans ce cadre ?

 Marina TYMEN : Initialement, VISOV réunit des citoyens qui décident de s’auto-activer s’ils s’estiment assez nombreux, en amont d’événements de crises, par exemple météorologiques. L’ensemble des données récoltées sur le web, ensuite rassemblée sur le classeur collaboratif, sera donné aux autorités qui disposent d’une cellule MSGU afin de leur permettre d’avoir une grille de lecture nouvelle pour déployer et orienter les secours différemment.

 

Eduardo RIHAN CYPEL : Comment les institutions et VISOV travaillent-elles ensemble ?

Romain PIGENEL & Marina TYMEN : Dans ce que sont les médias sociaux, l’Etat ne peut pas espérer arriver à avoir une surface de couverture suffisante pour atteindre tout seul l’ensemble des citoyens en cas de crise. L’Etat a pris conscience qu’il a besoin d’avoir autour de lui une société civile « conscientisée », activable pour lui apporter une certaine aide.

La première chose que le SIG a faite a été de légitimer la démarche MSGU en encourageant divers services à y avoir recours, notamment les préfectures via leurs communicants (que le SIG coordonne). C’est ainsi que l’association VISOV a été invitée à présenter son action et le cadre de son déploiement lors d’un séminaire des services de communication des préfectures de toute la France.

Il y a désormais des préfectures plus expertes sur ces sujets, notamment celles qui doivent faire face régulièrement à des crises météorologiques, comme le Var et le Gard. La préfecture de Nice, par exemple, a mis en place en septembre dernier, lors des inondations, un groupe Facebook d’entraide entre habitants. Une « bourse d’échange » a été créée pour qu’ils expriment leurs besoins ou leurs offres : covoiturage, vêtements, logement etc.

C’est un réel progrès organisationnel qui donne aux préfectures plus de force sur les réseaux sociaux.

Au niveau interministériel l’objectif est d’arriver à ce même fonctionnement et pallier les difficultés de coordination.

 

Eduardo RIHAN CYPEL : Qu’apporte pour vous un dispositif comme le MSGU ?

Romain PIGENEL :

Un réel travail d’acculturation aux MSGU est en cours au sein des institutions et auprès du grand public. Cela s’est traduit notamment avec la co-création d’une page sur les MSGU sur le site du gouvernement, présentant des infographies et un guide de bonnes pratiques. Le SIG soutien et relaie l’action de VISOV en essayant de lui donner de la visibilité auprès de tous ces acteurs, mais également pour favoriser le recrutement de volontaires quand l’association en exprime le besoin.

L’action de VISOV est en cela particulièrement pertinente lors des événements de crise et les jours qui suivent. Une bonne veille dépend alors de plusieurs critères :

  • Une lecture et une analyse essentiellement humaine, cœur de l’activité MSGU de VISOV ;
  • Une partie automatisée, réalisée avec des outils dédiés ;
  • Des veilleurs experts au sein des institutions
  • Un réseau de veilleurs amicaux extérieurs à l’institution, qui font remonter l’information lorsque c’est utile, comme VISOV justement.

 

Eduardo RIHAN CYPEL : Quelles sont les pistes d’amélioration possibles pour vous ?

Romain PIGENEL & Marina TYMEN : VISOV est une association qui avance déjà très vite mais certains outils organisationnels manquent encore. Il serait également nécessaire que les volontaires aient le temps de passer dans les écoles pour permettre aux jeunes, et moins jeunes, d’apprendre à maîtriser certaines techniques de veille et processus de vérification de l’information.

En termes d’outils, l’objectif est d’obtenir d’ici la fin 2016 une plateforme francophone MSGU, pour y coordonner davantage de volontaires, travailler plus rapidement et automatiser certaines actions. Le travail de veille se faisant majoritairement par l’humain, c’est du temps qu’il faut et non de l’argent.

Le SIG émet trois pistes d’améliorations possibles et souhaitables :

  • Côté grand public : il serait pertinent d’arriver à faire en sorte que les bonnes pratiques et comportements soient davantage répandus au sein de la population numérique et qu’il y ait, parmi les commentateurs d’événements de crise, des personnes formées à cela.
  • Côté Etat : beaucoup de progrès ont d’ores et déjà été réalisés, tous les comptes ministériels sur les réseaux sociaux sont assez actifs. Il demeure nécessaire de trouver un moyen de traiter toutes les informations qui remontent en cas de crises et inciter les internautes à le faire aussi.
  • Côté acteurs principaux du Web, les GAFA : en matière de contre-discours, le dispositif MSGU s’inscrit en collaboration avec les acteurs du Web, notamment en temps de crise (exemple des pop-ups twitter envoyés aux internautes leur disant de s’abonner au fil d’actualité de la préfecture de Paris, ou encore le safety-check mis en place par Facebook). Comment intensifier et standardiser la coopération ?

Les utilisateurs sont de plus en plus producteurs d’information. Tous les internautes participent à la chaîne de production et cela doit supposer un certain nombre de changements de comportements.

La formation et la sensibilisation des citoyens au décryptage de la véracité d’une information est nécessaire.

 

  • Questions-réponses :

 

Florent de SAINT-VICTOR

Jusqu’à quel point envisagez-vous, dans le cadre de vos actions, d’aller chercher des citoyens volontaires ? Qu’en est-il de la logique proactive ?

Romain PIGENEL 

Deux logiques sont irréconciliables : le participatif et le sécuritaire. Il y a une certaine compromission par rapport à la sécurité mais il faut réussir à la limiter. Le principe applicable est celui de la « valve » : l’information remonte, mais elle ne redescend pas aux sources dans la mesure où elle pourrait être sensible.

L’un des objectifs du SIG est d’être proactif et qu’il puisse alors y avoir des interpellations très simples pour demander de l’aide aux internautes (signalements de problèmes ou d’événements dangereux par exemple) : alerter en un « clic ».

 

Kevin GOMART, ministère de l’Intérieur

Comment se fait le recrutement au sein de VISOV ? Quelles vérifications sécuritaires sont faites en amont ?

Marina TYMEN

80% de nos volontaires ne se connaissent que virtuellement. Ils sont encore suffisamment peu nombreux à ce stade et sont principalement des professionnels de la gestion de crise et se connaissent à ce titre.

Il faut être vigilant et certes vérifier la présence du volontaire sur les réseaux sociaux en amont, mais il y a tout de même une part de « pari » sur la personne et d’incertitude. VISOV ne conserve que les membres actifs et vraiment impliqués : il est préférable d’avoir un nombre restreint de volontaire investis plutôt que l’inverse.